Sports 28 octobre 2021

Rachat de Newcastle : les sultans devenus nouveaux châtelains au bal des hypocrites

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C’est désormais officiel. Après une première tentative infructueuse, le club de Newcastle est passé des mains de Mike Ashley à un fonds saoudien, le Public Investment Fund (PIF), piloté par le prince héritier Mohammed ben Salmane. Un rachat synonyme de tournant dans l’histoire de la Premier League. D’abord, car il pose question sur le plan éthique. Ensuite, car il fait de Newcastle le club le plus riche du monde. Décryptage par notre journaliste Thibault Drèze.

« L’annonce d’aujourd’hui est la conclusion d’un processus approfondi et détaillé qui a permis au groupe d’investissement fonds public d’investissement d’Arabie Saoudite) de parvenir à un accord qui profite à toutes les parties prenantes et laissera Newcastle United bien placé pour poursuivre une stratégie claire et à long terme », communiquait le club début octobre. S’en suivaient des scènes de liesse autour de Barrack Road, à côté de St James Park. C’était la fin de l’ère Mike Ashley, l’homme d’affaires anglais qui avait racheté le club en 2007 pour 55 millions de livres et qu’il revend six fois plus aujourd’hui.

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Un lustre à dorer

Rarement un rachat a suscité autant de joie. Il faut dire que le règne de 14 ans de Mike Ashley prend fin et pour la grande majorité des supporters, c’est une libération. Accessoirement, cette reprise va aussi amener des fonds beaucoup plus importants et donc permettre aux Magpies de se positionner plus haut sur le marché des transferts. Le rêve de tout supporter. « Nous avons enfin des propriétaires qui vont dépenser de l’argent et investir. C’est un nouveau départ », s’exclamait un fan lors de cette folle soirée du rachat de Newcastle le 07 Octobre.

C’était bien le problème avec Mike Ashley. Peu d’investissement dans cette équipe qui n’a plus rien gagné en Angleterre depuis 1955, mais qui fait définitivement partie du paysage de la Premier League. Compétition que le club a remporté 4 fois (1905, 1907, 1909 et 1927), une autre époque. « Ça fait 13 ans que le propriétaire ne se préoccupe pas du club, il voulait partir un an après son arrivée. Il y a beaucoup à faire, pas seulement améliorer l’équipe. Si vous regardez notre terrain d’entraînement, vous revenez dans les années 1980. Les infrastructures sont comparables à celles d’un club de League One » , déplore un fan.

Il faut dire que l’ère Ashley n’a pas apporté beaucoup de succès à Newcastle. Un quart de finale en Europa League lors de la saison 2012/13. Une place européenne acquise lors de la saison précédente  lors de laquelle Newcastle avait terminé 5e. Pour le reste, deux relégations et rien de mieux qu’une 10e place. Pas de quoi s’enflammer. Alors, évidemment, la perspective de devenir le club le plus riche du monde (la fortune du PIF est estimée à 400 milliards d’euros) a de quoi réjouir les fans. Quitte à fermer les yeux sur de nombreux embarras éthiques.

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Un rachat au PIF ?

Car il est là le nœud du problème. Ce rachat par le Public Investment Fund piloté par l’Arabie saoudite, bien que la Premier League clame le contraire, est controversé. En effet, il n’est pas inconnu qu’en termes de respect des droits de l’homme, l’Arabie saoudite n’est pas championne du monde. Le pays est classé 170e sur 180 dans le classement mondial de Reporters sans Frontières à propos de la liberté de la presse et plusieurs dizaines de journalistes y sont actuellement détenus. Sans parler des droits des femmes, des droits de la communauté LGBTQI+ ou de la liberté d’expression. Entre autres. « La situation des droits humains en Arabie saoudite reste désastreuse. Les critiques du gouvernement, les militants des droits des femmes, les militants chiites et les défenseurs humains étant toujours harcelés et emprisonnés, souvent à l’issue de procès manifestement inéquitables », n’a pas manqué de rappeler le directeur général d’Amnesty UK, Sacha Deshmukh.

De plus, le président du PIF n’est autre que le prince héritier Mohammed ben Salman, le fils du roi d’Arabie saoudite. Ben Salman, aussi connu sous le nom de MBS, est aussi la personne qui dirige le gouvernement. Il a été accusé d’avoir ordonné le meurtre de Jamal Khashoggi en 2018, un journaliste qui critiquait le gouvernement saoudien. Le PIF avait d’ailleurs mis à disposition des services secrets saoudiens deux avions dans le cadre de l’enlèvement et l’assassinat du même Jamal Khashoggi. De quoi se poser des questions sur les personnes qui vont piloter l’avion Magpies.

« La Premier League a reçu des assurances juridiquement contraignantes que le Royaume d’Arabie saoudite ne contrôlera pas Newcastle United », s’est directement défendu la PL.  C’était justement une partie de l’échec de la précédente tentative de rachat à l’été 2020. La personnalité de MBS posait problème, d’autant plus que ce dernier avait dit assumer, en tant que dirigeant, la responsabilité du meurtre de Jamal Khashoggi. D’autre part, la chaîne qatarie beIN Sports avait accusé l’Arabie Saoudite d’être derrière BeoutQ, un système de piratage des images sportives. Ce que la Premier League ne voyait pas d’un bon œil.

Le serment d’hypocrites

C’est donc, en grande partie, grâce à la décision de l’Arabie saoudite d’autoriser la diffusion de beIN Sports sur son territoire que ce rachat s’est, cette fois, conclu. Reléguant les droits de l’homme au second plan, comme le résume bien Philippe Auclair pour Eurosport. « Et maintenant que l’Arabie Saoudite s’est rabibochée – pour le moment – avec le Qatar, et que beIN Sport, détenteur légitime des droits du championnat d’Angleterre dans la région, peut à nouveau diffuser ses programmes sur le territoire saoudien, il n’y avait plus de raison pour que la PL refuse que le PIF acquière le club de Mike Ashley. Sauf ces maudits droits de l’homme, décidément bien gênants. Mais comme le PIF est indépendant du régime… ».

Une affaire dans laquelle beaucoup ferment les yeux sur ce qu’ils veulent. D’abord la Premier League, plus préoccupée, semble-t-il, par un piratage de ses flux d’images que par l’arrière-boutique des repreneurs de l’un de ses clubs. Sans oublier les supporters qui font preuve d’une étonnante moralité bipolaire. Aveuglés par la hausse du budget des transferts et l’abdication d’Ashley, ils en oublient tout le reste. Il faut dire que les nouveaux dirigeants ont su leur parler avec les bons mots dès leurs premiers discours et les articles de presse qui avancent les noms des futures recrues font fantasmer toute la ville.

Le nouvel organigramme du club se composera de Yasir Al-Rumayyan, gouverneur du PIF, qui devient président non exécutif de Newcastle. Amanda Staveley, directrice générale de PCP Capital Partners (qui détient désormais 10% des parts de Newcastle), occupera, elle, le rôle de directrice. Une femme pas vraiment inconnue puisqu’elle a œuvré au rachat de Manchester City en 2008 et est habituée à négocier avec le Moyen-Orient au point d’en devenir une intermédiaire privilégiée. « Elle connaît la situation locale, donc je suis confiant. J’ai lu qu’elle voudrait déplacer la statue d’Alan Shearer dans l’enceinte du stade. Elle a aussi évoqué le fait qu’il n’y avait pas de statue ou de tribune au nom de Kevin Keegan. C’est super parce qu’elle a intégré l’histoire du club. On va dépenser beaucoup d’argent, mais les valeurs cardinales et l’identité du club vont demeurer », explique Graeme Bell, membre du board du NUFC Supporters Trust. Les intentions sont bonnes et quoi de mieux que raviver le feu des légendes pour amadouer les supporters.

Voilà donc comment tout ce petit monde se retrouve embarqué dans une belle opération de greenwashing et de diversification de revenus à travers le prisme du sport. S’il sera encore question de sport vu les moyens annoncés. Newcastle aura sans doute une force de frappe impressionnante sur le marché des transferts. Au point de le déséquilibrer ? De faire du club du comté du Tyne and Wear un nouveau grand d’Angleterre ? Dans tous les cas, ce rachat restera un tournant dans l’histoire du football anglais. Certes, il y a déjà eu Chelsea et Manchester City. Et il n’y a plus que 5 clubs de Premier League majoritairement détenus par des Anglais. Mais jamais l’appât du gain n’a autant effacé l’origine des fonds. Ne soyons pas naïfs, l’Arabie Saoudite et le PIF ne sont pas les premiers acteurs du football avec les mains sales. Il faut cependant constater que l’on ferme de plus en plus les yeux sur les origines des repreneurs. Le football est définitivement devenu une affaire de gros sous (et de tout le reste) et cela commence à se voir comme le pif au milieu du visage.

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Crédits images @Belga

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